13
Avec la splendeur laiteuse du noyau galactique se déversant par son plafond de transparacier, la salle du Cratère, sur Eclipse, était l’une des rares pièces à disposer encore de lumière. Lors d’une tentative de dévier davantage d’énergie vers le système de refroidissement central, les fusibles de l’armoire électrique principale avaient tous sauté, obligeant le personnel à couper les circuits non vitaux et forçant les Jedi à tenir conseil dans l’un des laboratoires de la base. Plusieurs réservoirs à villips – vides, même Cilghal n’était pas parvenue à les faire arriver à maturité – avaient été déplacés afin de créer un espace assez grand pour la réunion. Han, parfaitement remis, et Lando se tenaient légèrement en retrait, en compagnie des gardes du corps Noghri de Leia. Après l’incident de Coruscant, les Noghri étaient sortis de leurs cuves à Bacta un jour plus tôt que prévu et refusaient désormais que Leia se soustraie à leur surveillance.
Leia se trouvait sur le devant avec Mara, Cilghal et les Jedi les plus âgés. Jacen et Jaina, eux, se tenaient en compagnie de Tenel Ka, Lowie, Raynar, Zekk et de plus jeunes Chevaliers. Anakin, accompagné de la jolie Tahiri, était entouré d’un nombre croissant de nouveaux partenaires, parmi lesquels les trois compagnons de portée Barabel, Ulaha Kore, une humaine à cheveux roux nommée Eryl Besa et la danseuse Twi’lek Alema Rar.
Han fut assez contrarié – certainement pas autant que Tahiri, en tout cas – de constater que la Twi’lek Alema semblait côtoyer Anakin d’un peu trop près. La danseuse était à peu près du même âge que le jeune homme, mais, à voir comment elle le regardait et le touchait, elle paraissait bien plus mature à bien des égards. Et cet instant n’était pas le mieux choisi pour qu’Anakin en apprenne un peu plus sur le sujet. Luke avait organisé cette réunion pour faire part de l’avancée des recherches et des découvertes de Cilghal, mais tous venaient d’apprendre que Lyric, l’ami d’Anakin, venait de succomber aux voxyns. Plus inquiétant encore, les dernières nouvelles de Corran Horn signalaient que lui et sa femme, Mirax, avaient été aperçus tentant d’échapper à ces créatures lors d’un ravitaillement sur Corellia. Personne n’avait été en mesure de les contacter depuis. Cilghal se décida donc à rompre le silence :
– J’ai demandé à Maître Skywalker d’organiser cette rencontre parce que je souhaitais vous faire part de nouvelles encourageantes. Malheureusement, je dois encore vous prier de m’excuser pour le retard que j’ai pris à essayer de résoudre ce problème. (La Mon Calamari tourna ses yeux globuleux vers le plancher.) Excusez-moi…
– Rassurez-vous… (Le ton chaleureux d’Anakin parvint à contenir quelque peu les larmes de la scientifique.) Personne n’aurait pu faire mieux que vous. Sans vous, nous ne saurions même pas que ces choses sont dérivées des vornskrs.
Han se sentit très fier en entendant les paroles de son fils. Il savait d’expérience combien il était difficile de ne pas s’effondrer après la perte d’un être cher. Les mots rassurants d’Anakin contribuèrent à apaiser Cilghal.
– C’est exact, acquiesça Ganner Rhysode. (La joue balafrée de cet homme de grande taille conférait à son visage, pourtant si séduisant, un air très dangereux.) Tout le monde sait combien vous avez travaillé dur, comme toutes les personnes présentes ici…
Sa phrase déclencha un chœur d’approbations. Cilghal, en effet, avait confié pour mission à de nombreux Jedi d’essayer de déterminer l’emplacement du voxyn original. La reine, comme ils l’appelaient à présent. Ganner avait reconstitué l’itinéraire de la Pochette Surprise à l’arrivée et au départ de Nova Station. Streen avait épluché les carnets de bord dans l’espoir d’y découvrir une faille. Et Cheklev dirigeait une équipe de douze savants, inlassablement occupés à analyser les morceaux de l’épave du vaisseau détruit. Pendant ce temps, Anakin et son groupe allaient de planète en planète, traquant des voxyns pour les besoins des recherches de Cilghal. Cette dernière, rassemblant toutes les données, avait donc pu dresser la carte de la répartition et de l’affectation des créatures. Le résultat de tous ces efforts joints avait confirmé que tous les voxyns étaient effectivement les clones d’une seule et unique créature. Mais, plus important encore, on avait découvert que leurs cellules se détérioraient à une vitesse particulièrement rapide. Cilghal avait estimé que ces monstres ne pouvaient survivre guère plus de quelques mois après avoir quitté la matrice, et Han savait pertinemment que la savante était en train d’étudier un moyen d’accélérer encore plus ce vieillissement en faisant appel à la Force.
Luke laissa à chacun la possibilité d’exprimer son soutien, puis il leva une main pour réclamer le silence.
– Personne n’a à se plaindre des progrès de Cilghal. Mais nous avons tous des raisons de nous inquiéter. Si Corran et Mirax sont portés disparus, alors Booster Terrik prendra peut-être de lui-même la décision de rejoindre la zone des combats pour aller à leur recherche.
– Pas avec Tionne et Kam à son bord, dit Han. (Leia et lui avaient eu l’occasion de s’entretenir avec Booster entre deux voyages pour Coruscant.) Ils savent où nous trouver. Ils ne le laisseront pas commettre la moindre imprudence tant qu’il n’aura pas fait un petit détour par ici au moins pour déposer les étudiants.
– Tu en es sûr ? demanda Luke. Après tout, ce vaisseau transporte toute la nouvelle génération de Chevaliers Jedi…
– Et deux d’entre eux sont ses petits-enfants, intervint Leia. Booster ne risquera pas la vie de Valin et de Jysella, même pour Mirax.
Luke réfléchit quelques instants et hocha la tête.
– Très bien. Je suis l’ami de Booster depuis assez longtemps pour savoir qu’il est capable de se débrouiller tout seul. Cependant, je pense que nous respirerons tous un peu mieux si nous n’avons pas à nous soucier des élèves de l’Académie. (Il demeura silencieux pendant un moment.) Essayons donc de concentrer nos efforts pour que les voxyns cessent de nous éliminer un par un, reprit-il. Cilghal a des choses intéressantes à nous annoncer.
Luke s’avança vers Mara et sourit en admirant le bébé qui dormait dans ses bras. Constatant cela, Han se sentit soudainement extrêmement calme. Il se demanda si cela correspondait à quelque chose de similaire au fait d’être touché par la Force. L’espace d’un instant, la galaxie lui parut ne plus se désagréger. Tous les liens qui maintenaient son intégrité lui semblaient intacts et, Yuuzhan Vong ou pas, ces liens demeureraient dans l’avenir.
Cilghal battit deux fois des paupières et s’étrangla sous le coup de l’émotion avant de recouvrer sa contenance.
– Mes amis, j’ai découvert quelque chose de très intéressant sur le dernier voxyn rapporté par Ulaha et Eryl. (Elle adressa un signe de tête aux deux personnes concernées. Elles se tenaient au milieu du groupe de jeunes femmes qui, ces derniers temps, semblaient toutes vouloir se rapprocher d’Anakin.) Dans son estomac, j’ai trouvé un ysalamiri adulte et, dans l’estomac de l’ysalamiri, plusieurs feuilles d’olbio.
– Donc ces créatures dévorent les ysalamiris ? demanda Raynar. (Au cours de ses visites sur Yavin Quatre, Han avait remarqué l’impatience et la curiosité bouillonnantes du jeune homme, ainsi que l’envie permanente de parler de la jeune Tahiri. Encore deux choses qui avaient tenu le coup face à l’invasion des Yuuzhan Vong.) C’est bien ce que vous êtes en train de nous dire ?
– Non, Cilghal est en train de nous indiquer l’endroit où nous pourrions trouver la reine, dit Jacen. Avez-vous procédé à une analyse des métaux contenus dans les feuilles d’olbio ?
Cilghal sourit.
– Ça concorde parfaitement. Les feuilles proviennent de Myrkr.
Lando laissa échapper un petit sifflement admiratif. Han, qui venait d’exprimer son admiration de façon moins élégante, s’attira un regard foudroyant de la part de son épouse. Myrkr était une planète bien connue des contrebandiers en raison du fort taux de métal contenu dans ses arbres. Celui-ci rendait tout scanner orbital inopérant, et ce monde était l’endroit idéal où établir une base secrète. C’était également la planète d’origine des vornskrs et des ysalamiris, les premiers étant d’affreux prédateurs quadrupèdes qui repéraient la Force chez leurs proies, les autres de dociles reptiles capables de repousser la Force en créant une sorte de petite bulle psychique tout autour d’eux. Même dans les meilleures conditions, ce n’était pas l’endroit idéal pour partir à la chasse au voxyn. De plus, la tâche serait compliquée par le fait que la planète Myrkr se trouvait à quatre cents années-lumière à l’intérieur des lignes Yuuzhan Vong.
– Bon, d’accord, dit Raynar. Et c’est quoi, la bonne nouvelle ?
– C’est déjà un bon début, dit Mara, confiant Ben à Luke avant de se tourner vers Cilghal. Vous êtes sûre que la reine est là-bas ? L’ysalamiri aurait très bien pu venir d’une autre planète, non ?
Ce fut Jacen qui répondit :
– Pas avec ces feuilles présentes dans son estomac. Si elles étaient effectivement provenues d’une autre planète, leur teneur en métal n’aurait pas été aussi élevée.
– L’ysalamiri a mangé sur Myrkr peu de temps avant sa mort, acquiesça Cilghal. Il a été dévoré juste après. Je n’ai détecté aucune trace de congélation ou de conservation dans les feuilles.
Un silence impressionnant tomba sur l’assistance. La question qui allait se poser au groupe était aussi évidente qu’urgente. Les Jedi étaient tellement en phase les uns avec les autres qu’ils comprirent que leur première tâche serait d’établir un plan d’action.
– Evitons une attaque massive, dit Ulaha Kore. Même si nous parvenions à rassembler une flotte assez importante – ce qui me paraît impossible –, nos chances de réussir seraient proches de zéro.
– Et une telle tentative révélerait nos intentions, ajouta Luke. Nous devons réfléchir à un autre moyen.
– Un commando, dit Zekk. Faisons atterrir une petite équipe de spécialistes en douce…
– A condition de mieux se débrouiller que l’Escadron Spectre, l’interrompit Han. (Avant de quitter Coruscant, Han s’était arrêté au centre médical des Forces de Défense de la Nouvelle République pour prendre des nouvelles de Wedge. Il y avait trouvé le général d’humeur fort bavarde.) Cela fait plus de six mois qu’ils essaient de pénétrer la frontière entre Corellia et Vortex. Les Yuuzhan Vong ont des Interdictors équipés de basals dovins un peu partout. Les gars du Spectre ont été interceptés sur toutes les voies hyperspatiales qu’ils ont essayé d’emprunter. Déjà que la section qui s’étend entre la route commerciale de Perlemia et la route Hydienne est assez dangereuse... Ils ont été repoussés de ce côté-ci de la frontière.
– Bon, nous voilà renseignés, dit Luke d’un ton songeur. Les Yuuzhan Vong savent que nous allons découvrir leur secret et ils attendent, bien préparés, que nous passions à l’action.
– Je pense même qu’ils comptent sur nous, dit Tahiri. (En dépit de son âge – quinze ans, c’était la plus jeune des Jedi présents dans la salle –, son commentaire attira l’attention de tous. Ayant survécu aux tentatives des manipulateurs généticiens Yuuzhan Vong visant à la transformer en esclave à leur solde, programmée pour chasser les Jedi, elle comprenait leurs ennemis mieux que quiconque.) Ils ont un dicton : « Laisse ton ennemi se battre. » Et je crois que le terme « loyal » ne fait pas partie de leur vocabulaire.
– Tu as tout à fait raison, Tahiri, dit Alema. (Le compliment ne lui attira qu’un regard glacial en guise de réponse. La Twi’lek fit comme si de rien n’était et s’adressa à Luke et aux aînés des Jedi :) Sur New Plympto, les Yuuzhan Vong essayaient toujours d’anticiper nos actions afin de mieux préparer leurs pièges. Vous pouvez être certains qu’ils sont à notre recherche à l’heure actuelle.
– Alors, il va falloir raser, dit Anakin, employant le ton typique de l’adolescent sûr de lui. (Il pivota vers les jeunes Jedi assemblés autour de lui.) Les Yuuzhan Vong veulent qu’on se rende, pas vrai ? Eh bien rendons-nous ! Laissons-les, eux, nous faire franchir la frontière.
– Continue, dit Luke, attirant à nouveau, et adroitement, l’attention vers les adultes de l’assemblée. Nous t’écoutons.
Anakin s’écarta de Tahiri et avança vers son oncle.
– En plus, cela ferait gagner du temps pour Talfaglio.
– Ce serait un avantage non négligeable, convint Luke. De quelle manière devons-nous procéder ?
– Vous, vous ne faites rien, répondit Anakin. C’est nous qui nous occupons de tout.
Han sentit la poigne de Lando sur son bras avant même de se rendre compte qu’il était en train d’avancer. Lando était présent lorsque Leia avait vertement tancé son époux pour avoir failli provoquer sa mort pendant la démonstration du droïde. Elle lui avait dit, en des termes ne laissant aucune place à l’ambiguïté, que, même si elle était ravie de le savoir vivant, elle ne tolérerait aucune tentative de sa part – pas plus que d’un de ses gardes du corps Noghri, même si ceux-ci étaient certainement plus doués pour cela – de vouloir la protéger coûte que coûte. La prochaine fois que Han ferait mine de la couver, elle ou bien l’un de ses enfants, en succombant à ses instincts dominateurs – lui avait-elle déclaré –, il se retrouverait contraint de voler à bord du Faucon tout seul ! Han s’obligea à écouter ce que son fils cadet avait à dire. Il fit un pas en arrière en remerciant tout doucement Lando de l’avoir rappelé à l’ordre.
Anakin se retourna vers son groupe.
– Il faut qu’un traître nous livre aux Yuuzhan Vong sous prétexte de gagner du temps pour les otages de Talfaglio. Organisons un échange dans les environs d’Obroa-skai et laissons-les passer leur frontière. Ensuite, nous détournerons le vaisseau et nous mettrons le cap sur Myrkr. (Il s’adressa à sa sœur aînée :) Je sais que Wedge – le Général Antilles – t’a laissée piloter quelques-uns des vaisseaux Yuuzhan Vong qu’ils ont capturés. Est-ce que tu pourrais former Zekk ?
Jaina lui adressa un regard soupçonneux.
– Et pourquoi devrais-je le former ? Tu ne crois quand même pas que je vais te laisser entreprendre un truc aussi dingue tout seul, non ?
Le visage d’Anakin se figea dans une expression de détresse.
– Mais tu es supposée être en permission temporaire. L’Escadron Rogue pourrait te rappeler à tout moment…
– C’est vrai, ils pourraient, dit Jaina, levant les yeux au ciel. (Son visage se fit alors très dur, pareil à celui de Leia lorsque celle-ci voulait suggérer que sa décision était sans appel.) Si tu pars, je pars aussi.
– Et moi aussi, dit Tahiri.
Anakin fronça les sourcils.
– Toi ? Mais tu es trop…
– Si tu me dis que je suis trop jeune, je te balance un coup de pied mal placé ! l’interrompit la jeune fille. Personne ne connaît mieux les Yuuzhan Vong que moi. Est-ce que quelqu’un dans ton groupe, à part toi, peut-être, sera capable de reconnaître le labo d’un généticien ? Est-ce que quelqu’un d’autre connaît leur langage ?
– Elle a raison, dit Jaina. On a besoin d’elle pour le pilotage du vaisseau.
Anakin foudroya sa sœur des yeux.
– Tu peux piloter un appareil Vong ou pas ?
– Oh, je peux, oui, ne te fais pas de souci. Et Tahiri aussi, au cas où tu l’aurais oublié, lui répondit Jaina. (Elle faisait référence à l’évasion en catastrophe d’Anakin du système de Yag’Dhul, quelques mois auparavant. Avec Corran Horn et Tahiri, il avait échappé à une mort certaine en capturant un vaisseau de reconnaissance Yuuzhan Vong.) Tout ce qui concerne le vol, c’est vraiment facile par rapport au reste. Personne ne sait de quoi il va retourner vraiment. Alors, le pilotage…
– Et que se passera-t-il quand ils tenteront d’entrer en communication avec leur vaisseau ? demanda Tahiri. Il faut bien que quelqu’un comprenne ce qu’ils racontent, non ? Il faut bien que quelqu’un sache quoi leur répondre.
Elle lança un regard à la cantonade, comme si elle défiait quiconque de protester. Le silence durait. Han se retint, attendant que son beau-frère mette un terme définitif à ce projet.
Luke ne disait mot. Han égrena les secondes, déterminé à tenir compte de l’avertissement de son épouse, mais également déterminé à maintenir sa famille à l’abri du danger. Toute sa famille.
Solo attendit cinq secondes de plus, estimant que le silence maintenu par Luke devenait parfaitement insupportable.
– Qu’est-ce que tu attends, Luke ? (Han repoussa la main de Lando qui tentait de le retenir et s’avança au milieu du cercle des Jedi.) Dis-lui, toi, pourquoi son plan ne peut pas marcher.
Les yeux bleus d’Anakin s’assombrirent sous l’effet de la colère et adoptèrent une teinte presque améthyste.
– Et toi, Papa, pourquoi ne me le dirais-tu pas ?
– D’accord, d’accord, je vais le faire. (Solo pivota vers son fils.) Ça ne marchera pas, parce que… (Han était tellement en colère qu’il avait du mal à trouver une raison valable.) Parce que tu n’as aucune certitude de pouvoir t’échapper.
– Je crois vraiment que je peux y arriver. Enfin, j’en suis raisonnablement certain. (En dépit de l’indignation qui se lisait dans ses yeux, la voix d’Anakin demeura calme.) Je suis passé derrière les lignes Yuuzhan Vong pour aller secourir Tahiri. Et puis, j’ai ça… (Il posa la main sur son sabre laser modulé par le cristal lambent.) Et, plus que tout encore, je connais leur mode de pensée.
– Nous connaissons leur mode de pensée, le corrigea Tahiri.
– Vous connaissez leur mode de pensée ! tonna Han. Alors, dites-moi, à quoi penseront-ils quand ils vous larderont de scarabées paralysants ?
– Han ! dit Leia en lui prenant le bras.
– Et puis je vais te donner une autre bonne raison, ajouta-t-il, repoussant la main de son épouse. Tu ne peux pas y arriver parce que c’est de la folie ! (Il agita un index menaçant devant le visage de son fils, surpris de constater qu’Anakin avait atteint la même taille que lui.) Et de toute façon tu n’iras pas, un point c’est tout !
– Han ! dit Leia en le tirant vers elle. Cette décision ne t’appartient pas.
– Elle n’appartient pas à Anakin non plus, c’est sûr ! répondit-il en la foudroyant du regard.
Lorsqu’il se tourna à nouveau vers son fils, il s’aperçut que celui-ci était en train de le dévisager, plus vexé qu’en colère, prêt à ne pas céder et tout à fait sûr de lui. Il avait tout de l’adolescent classique, un véritable esprit rebelle. Mais il y avait, dans son attitude, une fermeté qui n’échappait pas à Han. Une dureté forgée par un grand nombre de batailles, gagnées ou perdues, à peine adoucie par la disparition de camarades de combat ou la perte d’amis chers. A dix-sept ans, Anakin était probablement plus mature que Han ne l’avait été à trente. Le jeune homme avait certainement vu plus de batailles et de sang répandu que son père n’en avait vu au cours de ses missions pendant la Rébellion. Il était pourtant encore si jeune.
– Han, la décision appartient à Luke, dit Leia. Pas à Anakin ni à toi.
Elle s’interposa entre le père et le fils et obligea gentiment Han à retourner à sa place. Solo se demanda alors où il avait bien pu se trouver lorsque Anakin – et tous ses enfants, d’ailleurs – était passé ainsi à l’âge adulte. La réponse, bien entendu, était perdue, enfouie dans le tréfonds de sa peine. Au même titre que la raison de cette peine. Qu’il n’aurait jamais souhaité éprouver.
Mais le vieil Han Solo avait repris du poil de la bête. Et le Han Solo d’antan n’allait quand même pas laisser les Yuuzhan Vong – ou qui que ce soit d’autre – lui arracher sa famille. Il se tourna vers Luke.
– Ce n’est pas une mission. C’est un sacrifice. Tu ne peux pas l’envoyer là-bas. Lui ou un autre.
Luke étudia le sol pendant quelques instants avant de se tourner vers Anakin.
– Ton plan me paraît bon, Anakin. Sauf que c’est moi qui vais prendre la tête du commando. Toi, tu restes ici.
Le visage d’Anakin se décomposa. Han sentit son cœur se serrer, mais cela ne l’empêcha pas de se sentir soulagé. Luke avait déjà effectué ce type de mission auparavant. Han avait, par maintes fois, eu l’occasion de l’aider. Malgré l’impression de malaise qui se lisait sur le visage de Mara, Han savait que Luke s’en sortirait sans dommage. Surtout si, encore une fois, il l’accompagnait pour assurer sa protection. Han se tourna vers l’épouse de Luke, histoire de la rassurer, et constata qu’elle n’avait guère besoin de son réconfort. Elle avait la mâchoire serrée et le regard dur, mais elle affichait un calme que Han trouva difficile à comprendre. Elle percevait le danger, savait ce que la décision de son mari pourrait lui coûter. Et, pourtant, il se dégageait d’elle comme une acceptation stoïque des faits. Quelqu’un devait éliminer les voxyns. Et si ce quelqu’un devait être Luke, alors qu’il en soit ainsi.
Anakin observa son oncle pendant quelques instants, puis hocha légèrement la tête. Il fit un pas en arrière et réintégra son groupe. Il refusa de croiser le regard de son père. Pendant un moment, Han pensa que son fils allait quitter la pièce, mais Anakin était devenu un homme, un homme en tout point plus mûr qu’il ne l’imaginait. Semblant comprendre ce qu’une telle réaction aurait comme effet sur son groupe d’amis, Anakin ne bougea pas, prêt à apporter tout son soutien à Luke.
Après un moment de silence tendu, Tenel Ka fit un pas en avant. Sa tenue habituelle de guerrier de Dathomir était recouverte par la combinaison pressurisée que tous étaient obligés de porter sur Eclipse.
– Maître Skywalker, je vous prie d’excuser une question aussi candide de ma part, mais… avez-vous perdu la tête ?
La brutalité légendaire de la jeune femme déclencha dans la salle quelques gloussements gênés. Luke ne put s’empêcher de sourire.
– Je ne pense pas, pourquoi ?
– Parce que vous devez être conscient que le plan d’Anakin ne fonctionnera pas pour vous, répondit-elle. Son plan repose sur le fait que les Yuuzhan Vong nous considèrent pour ce que nous sommes. Des jeunes. Ils ne se comporteront jamais de cette façon face à des Maîtres Jedi. Même s’ils ne vous abattent pas sur-le-champ, ils prendront toutes sortes de précaution pour vous rendre inoffensifs.
– Elle a raison, dit Ganner. Le chef doit être quelqu’un qui ne les inquiète pas. Quelqu’un qu’ils pourraient croire assez peu expérimenté pour se laisser berner par un traître. (Il dévoila ses dents blanches sous sa moustache.) Quelqu’un comme moi, par exemple.
Même Han parvint à discerner la réticence des autres Jedi. Personne ne se portant volontaire pour accompagner le séduisant Chevalier, Jacen prit la parole :
– Peut-être que personne ne devrait y aller, finalement…
Sa suggestion incita sa sœur et son frère à froncer les sourcils.
– Jacen, dit Anakin, ce n’est pas le moment de tourner en rond à débattre de ce qui est bien ou de ce qui est mal. Soit nous éliminons ces choses, soit ces choses éliminent les Jedi.
– Et si nous détruisons la reine, alors les représailles des Yuuzhan Vong sur la Nouvelle République seront encore plus terribles, répondit Jacen. Sommes-nous de taille à en supporter la responsabilité ?
– Jacen, nous n’avons pas de sang sur les mains, nous, dit Alema, ses lekkus frissonnant de colère. Eux, en revanche…
– C’est pratique, comme argument. Mais est-ce que ça permettra vraiment de sauver plus de vies que ça n’en coûtera ? demanda Ulaha. En tant que Jedi, nous devons nous en inquiéter.
Le débat s’envenima. Les voix s’élevèrent et les gestes se firent menaçants, tout le monde argumentant sur les mêmes thèmes, sujets de dissension depuis la destruction du Chasseur de Nébuleuses. Alema se heurta avec véhémence à Jacen, probablement parce qu’elle ne pouvait pas supporter le poids de la destruction de New Plympto et de la mort de sa sœur. Ulaha et Jacen insistaient sur les responsabilités endossées par les Jedi. Ils reçurent alors le support d’un nombre étonnamment croissant de personnes, parmi lesquelles Streen, Cilghal et – plus surprenant encore – les trois compagnons de portée Barabel.
Finalement, le ton de la conversation monta tellement qu’on pria C-3PO d’emmener Ben, qui venait de fondre en larmes, jusqu’à la nursery. Luke essaya à plusieurs reprises de ramener tout le monde au calme. Il dut se servir de la Force pour projeter sa voix directement dans l’esprit des personnes présentes, et un silence aussi intense que gêné tomba sur l’assistance.
Luke regarda alors calmement les Jedi puis prit la parole, presque en chuchotant :
– On en revient à une seule et unique question : comment affronter un ennemi brutal et malfaisant sans devenir, à notre tour, brutaux et malfaisants ?
– Effectivement, approuva Tenel Ka.
Luke la dévisagea quelques instants, puis secoua la tête, l’air épuisé.
– J’aimerais bien pouvoir vous fournir la réponse, mais la Force refuse de m’aider sur la question. Je pense que c’est d’ailleurs le cas pour chacun d’entre vous. (Il marqua une pause. Personne ne le contredit.) Ce qui me paraît clair, en revanche, c’est qu’il est temps pour nous de choisir une voie. Je suppose que personne n’est persuadé que nous devrions nous soumettre aux Yuuzhan Vong, n’est-ce pas ?
Han eut une sueur froide, son fils Jacen ayant semblé un instant vouloir intervenir dans ce sens. Mais le jeune homme conserva le silence, comme le reste des Jedi.
– C’est bien ce que je pensais, dit Luke en hochant la tête. Alors, est-ce que nous détruisons les voxyns, au risque d’encaisser de sévères représailles ? Ou bien acceptons-nous nos pertes dans l’espoir que cela permettra de sauver plus de vies au sein de la Nouvelle République que cela ne nous en a coûté, à nous ?
– Qu’est-ce que vous attendez de nous ? demanda Ganner. Un vote ?
– J’attends votre opinion, répondit Luke. Quelle que soit la décision que je vais prendre, je veux que chacun ait eu la possibilité de s’exprimer sur la question.
Ganner réfléchit un moment, puis hocha la tête.
– Alors, je dis qu’il faut partir à la recherche de la reine.
– Acceptons nos pertes, gronda Tesar Sebatyne, le premier Barabel.
Ses compagnes de portée grondèrent à leur tour leur approbation. Luke commença donc à questionner chacun des membres de l’assistance. Même si Han était convaincu qu’il leur fallait partir à la recherche de la reine, il ne pouvait s’empêcher d’émettre un hourra silencieux à chaque fois que quelqu’un annonçait qu’il fallait accepter les pertes, car Tenel Ka avait évidemment raison lorsqu’il disait qu’un Maître Jedi ne pouvait emmener le commando. Ce vote signifiait qu’Anakin – et Jaina, sans aucun doute – n’irait pas risquer sa vie dans un plan aussi extrême que celui qui avait permis de libérer Leia du centre de détention à bord de la première Etoile Noire. Si les Jedi étaient résolus à accepter leurs pertes, Han et Leia pourraient demeurer à bord du Faucon à veiller sur leur progéniture. En attendant qu’une meute de voxyns se lance à leurs trousses. Tôt ou tard, il faudrait bien que quelqu’un se décide à éliminer la reine. Han ne voyait pas pourquoi il fallait que ce soit ses enfants.
Au moment où la question fut enfin posée à Leia, les avis étaient partagés de façon presque égale, avec, semblait-il, un très léger avantage en faveur de la non-destruction de la reine.
Lando se pencha vers Han.
– Tu peux respirer, mon pote. Leia et Mara vont vouloir cavaler après la reine. Mais Cilghal et Streen s’y opposeront.
Han savait pertinemment qu’aucun autre joueur professionnel dans la galaxie n’était à même de lire sur les visages aussi bien que Lando Calrissian. Mais il ne se sentit pas aussi soulagé qu’il l’espérait. La façon qu’avait Leia de le regarder en disait long sur ce qu’elle pensait de son attitude envers Anakin. Mais il n’y avait pas que sa colère, il y avait quelque chose d’autre. Han se comportait en égoïste, et elle le savait bien. Elle savait également ce que cet égoïsme pourrait coûter aux Jedi.
– Han ?
Pris par surprise, Solo se tourna vers Luke.
– Oui ?
– Ton opinion ?
– Mon opinion ?
– Tu es impliqué dans tout ça, dit Luke. Tu peux t’exprimer.
Han posa de nouveau les yeux sur Leia. Devinant l’appel silencieux qui se dessinait au fond de ses yeux, il se demanda comment elle parvenait, dans un moment pareil, à être aussi forte.
– D’accord, donnez-moi une minute…
Han Solo ferma les yeux, il aurait tant aimé qu’on lui apprenne l’une de ces techniques de relaxation Jedi. Il essaya de se calmer en respirant profondément. Cela ne servit pas à grand-chose. Il savait pourquoi son fils souhaitait tellement diriger cette mission. Il savait pourquoi Anakin avait participé à chaque bataille importante menée par les Jedi depuis le début de l’invasion des Yuuzhan Vong. Il savait pourquoi il avait foncé tête baissée pour secourir Tahiti.
Chewbacca.
Même si Anakin prétendait le contraire, tout les ramenait à Chewbacca.
– Papa, dit Anakin. Fais ce que ta conscience te dicte.
– Je n’ai pas besoin que tu me le rappelles. Vraiment pas. (Han ouvrit les yeux et vit son fils qui se tenait en face de lui. Il voulut prendre le jeune homme par les épaules, mais se rendit compte qu’étant donné sa taille ça n’allait pas se faire tout seul.) Tu n’es pas obligé de le faire, tu le sais ?
– Je sais. (La souffrance qui se lisait jusqu’à présent sur le visage d’Anakin céda soudain la place à l’insolence.) Mais je vais le faire quand même.
Ayant la désagréable impression d’avoir déjà remarqué ce même regard suffisant dans son miroir trente ans auparavant, Han se tourna et découvrit Leia qui le regardait bouche bée.
Il haussa les épaules et lui adressa un petit sourire en coin.
– Les enfants… On ne peut rien leur refuser, non ?
– J’en déduis que tu es pour la destruction de la reine, dit Luke.
Il termina donc son sondage, et les résultats suivants correspondirent exactement à ce que Lando avait prédit. Sauf que, fort de l’appui de Han en faveur de la mission, Luke décida de partir chercher la reine voxyn.
– Je suppose que toutes les personnes ici présentes soutiennent cette décision, dit-il. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour protéger les innocents, mais nous allons envoyer une équipe sur Myrkr.
Jacen se tourna vers son frère.
– Alors, j’aimerais être le premier à me porter volontaire.
– Toi ? (Personne n’eut l’air plus surpris qu’Anakin lui-même.) Mais je croyais que tu étais opposé à l’idée ?
– Cela n’a pas d’importance, dit Jacen. Personne ne se débrouille aussi bien que moi avec les animaux. Si tu veux partir sur les traces de la reine, tu vas avoir besoin de moi.
– Quand il s’est collé quelque chose dans le crâne, celui-là, hein, Anakin ? dit Jaina, venant se poster à côté de son frère jumeau. Et je pense que nous sommes d’accord sur le fait que je viens aussi ?
– Comme si j’avais le choix, dit Anakin en souriant, avant de se tourner vers le reste des jeunes Jedi. Que tous ceux qui souhaitent se porter volontaires viennent me voir plus tard, il faut d’abord que nous mettions au point un plan d’action.
Han sentit ses genoux sur le point de se dérober sous lui. Ses trois enfants étaient décidés à se lancer dans la même mission suicide et il ne serait pas là pour les protéger. Il ne pouvait même pas envisager de se joindre à eux, car il n’était pas un Jedi.
Leia n’avait pas l’air plus heureuse que lui. Son visage était pâle, ses lèvres tremblaient. Pourtant, elle trouva le courage de relever la tête et d’avoir l’air fière.
– J’accepte à une seule condition ! lança-t-elle, se tournant vers Lando. Je veux que ce soit toi qui les livres.
Pour la première fois depuis très longtemps, Lando eut l’air sincèrement stupéfait.
– Moi ?
– Oui, tu es le seul qui puisse faire en sorte que ça réussisse, dit Leia. Je sais que je n’ai pas été d’une grande aide avec Borsk, mais, si tu acceptes de faire ça…
Lando leva les mains.
– Je vais vous aider dans toute la mesure du possible.